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Hotel Lambert de Thorigny

2 rue Saint Louis en l'Ile dans l’Ile Saint Louis à Paris

les raisons de son importance

Depuis la rue Saint-Louis en l’Ile, l’hôtel Lambert est caché derrière son portail monumental.

Pour le voir un peu, il faut se promener sur les quais l’hiver, ou en bateau sur la Seine ; en effet sa façade côté jardin disparaît l’été derrière les feuillages, et on ne voit plus que son arrondi sur la Seine.

L’hôtel appartient à des personnes privées. Il ne se visite pas.

Pourtant l’hôtel Lambert occupe une place essentielle parmi les hôtels de Paris : c’est lui qui est choisi par Jean-Pierre Babelon pour illustrer la couverture de son livre « Demeures Parisiennes sous Henri IV et Louis XIII », c’est un décor de l’hôtel Lambert qui est placé en couverture du livre de décoration « Visite Privée, Hôtels Particuliers de Paris par Jean-Bernard Naudin et Christiane de Nicolaÿ-Mazery », et, si il n’a pas été choisi pour la couverture de l’important livre d’Alexandre Gady « Les Hôtels Particuliers de Paris », c’est bien lui qui est l’hôtel le plus souvent cité au fil des chapitres et des illustrations du livre.

Cette place considérable est due à trois raisons principales :

Un chef d’œuvre qui marque le début du style baroque français (celui de Vaux le Vicomte et de Versailles)

En 1641 Jean-Baptiste Lambert, un jeune célibataire trentenaire jouit déjà d’une fortune considérable obtenue par ses activités financières en tant que commis du surintendant Bullion, et aussi par ses opérations immobilières.

Il dispose d’un terrain dans l’Ile Saint Louis bien placé pour sa vue sur la campagne rive droite, mais en pente et d’une forme peu pratique; son trait de génie sera de choisir un architecte encore plus jeune que lui, Louis Le Vau qui réussira un chef d’œuvre d’équilibre et d’esthétique malgré ces conditions difficiles. Une habile utilisation des différences de niveau, et des façades dont l’ordonnancement des ordres classiques annonce le style de Louis XIV, permettent d’effacer ces défauts.

Pour leur hôtel, Jean-Baptiste Lambert et Louis Le Vau choisiront souvent des solutions nouvelles inspirées par l’Italie qui deviendront ensuite la mode à Paris ou à la campagne.

Ainsi à l’hôtel Lambert, les plafonds à la française sont remplacés par des plafonds enduits « à voussure » ou à compartiments qui permettront aux peintres, Perrier, Lesueur ou Lebrun, de s’exprimer.

Ainsi Le Vau a conçu un escalier central théâtral placé dans une loggia à l’italienne, afin de mettre en scène le propriétaire des lieux.

Il prend le parti pour la première fois à Paris de favoriser les vues sur la Seine depuis les appartements ou depuis le jardin surélevé, le premier à Paris.

L’hôtel disposera d’une galerie des glaces, la galerie d’Hercule. Ses glaces ont été remplacées au 18e siècle par des décors peints, mais elles ont bien été retrouvées dans l’inventaire après décès de Nicolas Lambert.

Nombre de ces nouveautés seront reprises ensuite à Vaux-le-Vicomte ou à Versailles, et cette réalisation remarquable marquera le lancement de la grande aventure de Le Vau et de Lebrun comme architecte et peintre de Fouquet puis du Roi.

nicolas lambert armoiries
Décor d'un angle du cabinet des muses, où les licornes des
armes des Lambert de Thorigny apparaissent au milieu des divinités marines.

Un décor exceptionnel dû notamment au rapprochement de deux peintres majeurs: Eustache Le Sueur qui réussira à l’hôtel Lambert quelques unes de ses œuvres les plus accomplies, et le jeune Charles Le Brun qui composera magistralement à l’hôtel Lambert le plafond de sa première galerie, avant celle d’Apollon au Louvre ou la Galerie des Glaces .

Jean-Baptiste Lambert ne profitera pas longtemps de son nouvel hôtel où il décèdera en 1644 quelques mois après s’y être installé ; c’est son frère, Nicolas Lambert, le futur Président de la Chambre des Comptes, qui héritera de sa fortune et deviendra seigneur de Thorigny et de Sucy-en-Brie. Nicolas Lambert réalisera la plus grande partie de la décoration entre 1646 et 1660. Les travaux seront confiés à des proches ou des élèves de Simon Vouet : François Perrier, qui commencera le plafond du cabinet des muses, puis surtout Eustache Lesueur et Charles Le Brun.

Le Sueur succédera à Perrier, âgé, et exécutera les décors des appartements de Nicolas Lambert, chambre, cabinet d’amour, et ceux sa jeune épouse, Marie de Laubespine : cabinet des muses ou chambre de la présidente, cabinet des bains.

Le Brun consacrera plusieurs années à la peinture du plafond monumental de la galerie d’Hercule représentant une grande tapisserie divisée en cinq panneaux consacrés à la vie d’Hercule

Est-ce que Le Nôtre est intervenu dans la création du jardin de l’Hôtel Lambert ?

Marie-Hélène Bénetière s’est posé cette question en relevant le nombre de végétaux précieux, orangers …, du jardin figurant dans l’inventaire après décès de Nicolas Lambert. Elle n’a pas trouvé d’élément confirmant cette hypothèse, cependant nous pouvons avoir la certitude que le jardin de l’Hôtel Lambert a été dessiné soit par Le Vau, l’architecte de l’hôtel, soit par Le Brun, son décorateur, soit par Le Nôtre, qui a coopéré toute sa vie avec Le Brun. Le Nôtre et Le Brun ont été ensemble élèves du peintre Vouet.

Cette remarque est à rapprocher de celle de Michel Baridon dans son « Histoire des Jardins de Versailles » (1) : « On s’est souvent demandé ce qui revient à Le Nôtre, à Le Brun, à Le Vau, à d’Orbay, puis à Hardouin Mansart dans la création de jardins qui ont tiré tant de choses de si peu. »

(1)Michel Baridon : « Histoire des Jardins de Versailles » (Actes Sud 2003).

nicolas lambert
Nicolas Lambert devant la façade côté cour de son hôtel.
(anciennement collection Czartoryski)

Un des seuls hôtels parisiens du 17e siècle qui ait été préservé avec la totalité de son décor original, dont une partie importante encore sur place

Une grande partie des peintures exécutées par Le Sueur pour l’hôtel Lambert est achetée pour le compte du roi Louis XVI en 1776, elle se trouve maintenant au Louvre ; quelques panneaux décoratifs du Cabinet de l’Amour sont transportés par le comte de Montalivet dans son château de La Grange près de Sancerre, où ils sont encore aujourd’hui.

Cependant, ces changements ont donné lieu à des aménagements réalisés au 18e ou au 19e siècle avec goût, et l’hôtel a conservé son ambiance : le promeneur y trouve dès le grand escalier une peinture de Le Sueur ; de nombreux décors des Lambert, dont la licorne de leurs armes, animent encore les appartements.

Relativement épargné par les périodes de troubles ou de grands travaux dans Paris, il a été soigneusement entretenu ou restauré par les hôtes illustres qui ont succédé aux Lambert. En effet Alexandre-Louis Lambert doit vendre l’hôtel ainsi que 14 autres maisons et hôtels dans l’Ile Saint-Louis pour renflouer sa trésorerie mise à mal par les investissements à Thorigny : ces opérations se dérouleront de 1732 à 1739.

Les acheteurs de l’hôtel Lambert sont la belle mère et le mari de Madame Dupin, aussi propriétaire du château de Chenonceau. Celle-ci, emploie Jean-Jacques Rousseau comme secrétaire, et installe son salon littéraire dans l’hôtel. Le marquis et la marquise du Châtelet, l’amie de Voltaire, succéderont aux Dupin, puis le fermier général Marin de la Haye. En 1809, l’hôtel est racheté par le Comte de Montalivet, ministre de l’intérieur, puis en 1842 par la famille princière polonaise Czartoryski qui le restaurera et le conservera jusqu’en 1976 ; au cours de cette longue période, l’hôtel deviendra le centre de la vie culturelle et artistique polonaise à Paris : il recevra notamment les visites de Chopin, Georges Sand et de nombreux artistes ou écrivains dont Delacroix qui restaurera certaines peintures.

En 1947, le baron Alexis de Rédé loue une partie de l’hôtel et procède à d’heureux aménagements. En 1976, le baron Guy de Rothschild rachète l’hôtel Lambert. Sous l’impulsion du baron de Rédé et de Marie-Hélène de Rothschild, l'hôtel devient le centre des fêtes les plus brillantes du tout Paris depuis les années 50, jusqu’à la disparition de Marie-Hélène de Rothschild en 1996, suivie par celle du baron de Rédé en 2004, et de Guy de Rothschild en 2007.

Jean-Baptiste et Nicolas Lambert ont été des mécènes considérables, et leur rôle mériterait d’être mieux connu.

Mais l’Hôtel Lambert, leur chef d’œuvre est particulièrement bien documenté, notamment dés le 18e siècle par les 40 gravures de Picard, et plus récemment à la suite de différentes expositions dont celle « Le Cabinet d’Amour de l’Hôtel Lambert » au Louvre en 1972.

Préparant les futures réalisations de Le Vau et Le Brun, ayant fait l’admiration de tous ses visiteurs par la qualité de son architecture et de ses décors, il tient une place majeure dans l’histoire de l’architecture et de la décoration du « Grand Siècle ».

Son nouveau propriétaire prépare un programme de restauration de l’hôtel : il est évidemment nécessaire qu’un tel projet respecte et mette en valeur tous les aspects historiques de l’architecture et du décor de l’hôtel.

La région Ile-de-France et la ville de Sucy-en-Brie viennent d’accomplir un effort exceptionnel pour restaurer le château des Lambert à Sucy-en-Brie ; il est encore plus important de réussir la préservation de leur hôtel dans l’Ile Saint-Louis.